Le cas des marques de prêt-à-porter : A qui sert la mode ? A qui sert les réseaux sociaux ? Quelles solutions ?
Il y a des actes symboliques auxquels l’individu ne peut échapper. Tout comme il est impossible de ne pas communiquer (car même le silence est un acte de communication, « ne rien dire est signifiant »), la manière de s’habiller renvoie à une représentation de soi. Aussi, quand les marques de vêtements se représentent, elles donnent à voir des manières possibles pour l’individu de se donner à voir au monde. De même, leurs communications sur les réseaux sociaux participent à entretenir l’imaginaire et l’expérience de marque. Néanmoins il existe toujours une différence entre l’appropriation de la marque et l’intention de marque.
Trouver le ton juste pour toucher l’audience recherchée, tel est l’enjeu de ces communications d’image en images.
Les marques de vêtement jouent de façon subtile avec leur imaginaire de référence pour rencontrer celui de leur cible. Or parfois, la coïncidence est difficile à réaliser tant d’autres paramètres sont à considérer comme l’environnement, l’identité sociale de l’individu et le niveau d’autonomisation
- Environnement = contexte de vie, milieu de référence d’usage, sources d’influence
- Identité = us et habitudes du milieu social de référence, préférences personnelles, âge, sexe
- Niveau d’autonomisation = dans quelles mesures l’individu répond ou non, consciemment ou inconsciemment à ces injonctions des modes de représentation
Si l’expérience consommateur reste au cœur de l’attachement à la marque et au style vestimentaire, les réseaux sociaux participent à faire vivre les imaginaires de marque, et plus encore, ils immergent les consommateurs dans des possibles usages. Instagram, Pinterest, Youtube … diffusent des contenus qui alimentent l’imaginaire de marque et construisent un lien de proximité avec les publics. Il ne s’agit plus d’aspirer à ressembler aux icones mais de s’inspirer pour laisser libre cours à sa créativité. Néanmoins, la créativité effective reste généralement contrainte socialement.
En effet, se vêtir, ou non, est, dans nos sociétés occidentales, un équilibre des frontières entre le corps et sa représentation sociale. Il est nécessaire de se vêtir pour se protéger de l’extérieur du climat mais il n’est pas vital d’avoir une tenue. Ce sont les codes et le plaisir associé ou non à son apparence qui déterminent nos choix vestimentaires.
Un cas d’école, le costume, une valeur sûre du dress-code corporate aux tonalités spécifiques
Aussi, pendant longtemps, l’uniforme a été choisi pour masquer les différences mais aussi pour mieux identifier le statut social. Puis petit à petit, plus de liberté individuelle s’est installée. Exit le costume du dimanche pour des tenues à mettre en toutes circonstances. Néanmoins, malgré la démocratisation et la plus grande liberté d’apparence donnée, il existe de forts codes sociaux (principalement liés à l’activité professionnelle) qui perdurent et influent sur les choix stylistiques même en dehors de la sphère professionnelle.
Ainsi, le costume pour les hommes reste la norme établie dans certains cadres professionnels où le corporate est puissant. Bien évidemment dans les grands groupes urbains français, les usages se sont assouplis mais néanmoins, le port quotidien du costume reste l’exigence pour les membres les plus hauts placés. Seule exception le PDG lui-même peut instaurer un nouveau style. Nouveau style qui, même le plus décontracté qu’il soit, restera la nouvelle norme, le code.
A l’heure où les rapports au travail sont de plus en plus individualistes, le costume (porté avec chemise et cravate) reste le code le plus fédérateur non pas pour rassembler mais pour ne pas désunir, faire tache sur le tableau. Les autres normes du « politiquement correct », pour le cadre supérieur en entreprise française, se déclinent en tonalités de blanc, noir, bleu et gris. Attention s’attaquer aux tonalités de marron invoque une dimension plus ancrée dans la tradition paysanne et même si celle-ci est issue de la Haute Bourgeoisie, elle connote une signature plus personnelle. Dans une plus grande discrétion, la patte individuelle peut se jouer sur le choix des accessoires : la ceinture, les chaussures, les chaussettes voire les bijoux.
Sortant du cadre strict du vêtement, la touche personnelle se repère, pour les hommes au niveau de l’esthétique capillaire (du cap, de la tête) – la barbe, la chevelure/coupe – et plus aux extrémités : les mains.
Pour une allure plus décontractée, réservée pour certains au friday wear voire pour d’autres uniquement aux temps hors bureaux, il reste des pratiques incontournables, graduellement :
- L’absence de cravate
- Le polo (manches longues)
- Le blouson
- Le jean
Les codes corporate du cadre supérieur masculin restent très définis et assez structurés. En revanche, plus de liberté individuelle est donnée aux femmes. Les enjeux féminins sont inversés. Pour les hommes, il s’agit d’être au plus près du modèle de référence et de jouer sur des indices/détails personnels. Pour les femmes, nous sommes plus dans une accumulation de détails qui doivent correspondre à un modèle de référence non établi.
Bien évidemment, la femme cadre supérieure corporate à la facilité de s’approprier les codes masculins de ses collègues mais au lieu de facilité pour se fondre dans la masse, elle prend le risque d’afficher un manque d’élégance et donc de respect de son statut hiérarchique. Comme tout le monde ne peut (voire ne veut) adopter l’allure costume YSL (Yves Saint-Laurent a féminisé le port du costume), il s’agit pour les femmes d’un exercice délicat que de confectionner un style corporate féminin qui nécessite :
- Plus de variété/changement que les hommes
- Plus de créativité dans l’association des pièces et des matières
- Plus d’exigence en termes de maîtrise de jeu des matières et des couleurs
De fait, il n’existe pas une tenue/pièce de la garde-robe de la business women corporate mais un véritable art de l’accommodation.
Dans ce contexte à qui sert la mode ? à tous, même si elle n’implique pas spontanément un acte d’achat, elle contribue à inspirer, créer du désir, et se construire une garde-robe à son image assez transparente pour adopter les codes des milieux majeurs d’usage mais assez identitaire pour pouvoir se retrouver.
A qui servent les réseaux sociaux dans la mode ? aux plus « modeux », aux plus libres, aux plus en quête d’inspiration personnelle, aux femmes préférentiellement, les plus jeunes bien évidemment avant qu’ils ne soient contraints socialement ou qu’ils ne soient plus en recherche d’une ligne stylistique propre identitaire et qui s’arrange au mieux au fil du temps de leur garde-robe existante.
Néanmoins, la créativité quelle qu’elle soit, reste limitée par des codes d’usage contraignant les achats mais aussi par d’autres critères tels que le rapport à son corps et son image, le profil psycho-social, l’âge, la volonté et la capacité de renouvellement de la garde-robe. Développer les imaginaires de marque tout en suscitant le désir chez le consommateur invite à s’interroger sur les compromis entre aspirations et usages dans le cadre de codes sociaux établis.
Comment avoir le ton juste ? en saisissant comment matchent ou non l’univers de la marque avec l’univers de la cible et surtout voir où se fait la rencontre possible est indispensable à toute stratégie de marque. Cette compréhension passe nécessairement par une approche à la fois systémique (inventaire des facteurs d’influence et analyse de leur inférence les uns par rapport aux autres) et pragmatique (l’expérience client, ses besoins et usages). Interroger, décrypter les paroles, les usages, l’influence des media mais aussi s’immerger. 25 déc. 2021 – Anne BATTESTINI