Internet est un lieu de confusion surinvestit. Tout y est dit, tout y est nié. Tout y est possible et même le contraire. Aucune science n’est certaine. Les mythes et légendes y sont donc nombreux et font florilège. Chacun y allant de ses présages et de l’expression de ses désirs et craintes qui sont aussi nombreux que le nombre de communautés possibles… Et si ces communautés s’entendaient, serait-ce l’Enfer ou Paradis ?
Le mythe, selon Platon, c’est bien ce qui vient de l’opinion et non de la certitude scientifique. Comme toute chose, il y a des causes rationnelles (appelées aussi « raisons ») et des origines insondables (communément nommées « chimères »). Voilà un premier point expliquant l’existence de mythes autour d’Internet. En absence de données objectives et d’instance légitime reconnue de tous, toutes les vérités sont acceptables et toutes les légendes aussi. Mais pourquoi cette opinion investit dans Internet autant de pouvoirs quasi magiques ? Dans un monde incertain, la Chimère est le lieu d’incarnation à la fois de tous les rêves, frustrations, craintes, désirs et plaisirs. Elle est le lieu de l’imagination fertile et incontrôlée. Celle d’une magie qui dépasserait l’entendement humain. Voilà pour le second point.
Au regard de l’histoire de l’humanité, celle de l’Internet s’est déjà constituée une belle anthologie mythologique. Elle puise ses racines dans ce qui nous renvoie à notre part de liberté, notre condition humaine et notre patrimoine historique. Pour les Antiques, le mythe procède de la dramaturgie de la vie sociale. Une mise en scène du réel avec un jeu cathartique, c’est-à-dire une expression poussée à l’extrême des craintes et émotions pour s’en libérer.
Remplir d’images ce que l’on arrive à concevoir.
L’Internet joue de l’inconscient collectif et saisit les désirs et les craintes du moment. Et ce de façon d’autant plus forte qu’il n’est pas matériel donc imaginable (dont on ne peut se faire une image). C’est un objet impalpable, invisible, aux contours inexistants, au temps sans borne. Il nous suit, nous trace, nous reconnait et nous menace … Certes cela dit beaucoup de notre monde et de ses surinvestissements technologiques, sociaux et humains. Mais ce qui fait le plus saillie dans ces interrogations et incertitudes est l’investissement imaginaire.
Incontournable et irremplaçable, fabuleux mais aussi dangereux sont des qualificatifs récurrents pour le désigner. Certains s’en méfient, d’autres se l’approprient, beaucoup n’osent en parler. Il y a un mystère autour de l’existence ou non d’un Grand Maître créateur et donc manipulateur. Il y a aussi cet outil façonné par l’intelligence de l’homme qui, on le sait, est capable du pire comme du meilleur… les plus cartésiens parlent de media absolu avec tous les dangers associés aux mythes modernes de la désinformation et de la surconsommation. Hérésie suprême, paradoxe vivant, Internet serait le lieu ultime « de la grandeur et de la décadence de notre société » mais aussi « le formidable outil de démocratisation ». L’imaginaire est ce qui permet de percevoir la réalité et de donner un sens profond à l’individu par rapport à la société où il vit. Que se dit-il en fait avec ces images ?
Les mythes les plus anciens éclairent sur le sens de cette légende qu’est Internet. Ainsi, ce nouveau monde prend les traits d’une Babylone moderne. La porte de Dieu où ce Dieu est perverti dans l’homme par ses plus profonds vices. Instinct de domination et instinct de luxure comme guides. « Cette ville si magnifique qu’il n’y a pas au monde une cité qu’on puisse lui comparer » dixit Hérode, est aussi le lieu qui n’exalte qu’une part de l’homme et qui le désintègre. C’est le lieu de l’éphémère.
Babylone vit naître la Tour de Babel qui devait conduire à la porte du Ciel. Les hommes d’alors parlaient la même langue. Leur intelligence collective et les outils qu’ils façonnèrent leur permis de réaliser cette tour. Devenue, dès lors, le symbole de l’orgueil humain et de la Cité qui se dresse contre le pouvoir divin. Elle fût anéantie par la rage céleste. « C’est là que Yahvé confondit le langage de tous les habitants de la terre et c’est là qu’il les dispersa sur toute la surface de la terre » (La Genèse) Etrange ces légendes perdues tout de même… fondées sur des croyances archaïques, chimériques, arrachées des livres où la poussière peut encore se déposer, est-ce qu’elles pourraient encore hanter notre inconscient collectif ?
Babel signifiant confondre, « La Tour de Babel » est une expression qui, quand elle est employée, fait allusion à une assemblée où tout le monde parle sans s’entendre, où personne n’est d’accord. Quoi qu’il en soit si Internet n’est pas Babel, c’est sans nul doute un lieu de perdition du langage, comme dirait mon ancêtre, « à y perdre son latin ». Mais ce qui s’exprime dans les présages des internautes, ce sont bien des peurs et des désirs d’un monde insaisissable, inconnu et pourtant bien réel. Internet n’en est qu’une représentation.
6 sept. 2017 – Anne Battestini